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Dukezong, un autre Tibet

153 Liked Posted on: October 14th 2018

J’appréhendais la visite de Shangri-la avec beaucoup de parti-pris à l’encontre de ce spot envahi par les hordes touristiques depuis son ouverture il y a une vingtaine d’années. J’étais surtout rebuté par cette mystification consistant à donner un nom qu’elle ne méritait sans doute pas à l’ancienne Dukezong des Tibétains, déjà autrefois rebaptisée en Zhongdian, avant qu’elle n’usurpe son appellation nouvelle par un concept marketing totalement artificiel, au but mercantile visant à laisser accroire à des touristes crédules que cette cité aurait été identifiée comme le siège de la société parfaite et idyllique, mais hélas fictive, décrite par James Hilton dans son roman Les Horizons Perdus publié en 1933. La ville ancienne, entièrement reconstruite selon les meilleurs principes du pastiche après l’incendie qui l’a ravagée en 2014, s’est transformée en vaste Disneyland peuplé de boutiques souvenir à l’image de son modèle Lijiang, un peu plus au sud, qu’elle tente de rattraper. De paradis perdu derrière l’horizon, s’il n’y en eut jamais, il n’y en a plus guère.

 

Et pourtant, j’ai été agréablement surpris. En ce début mai frisquet où la végétation est encore en hivernage, peu de voyageurs se risquent à ces latitudes et ces altitudes, 3200mètres tout de même, si bien que la promenade dans ses rues dépeuplées est tranquille. Pour être honnête, on a vu pire en matière de reconstruction et il reste un patrimoine intéressant de bâtisses authentiques, la vieille ville ayant conservé son architecture antique au milieu de quelques quartiers épargnés par les flammes.

Et puis, il faut oublier cette tendance à toujours vouloir et chercher une authenticité consistant à figer dans son passé la vie d’antan, en en réservant la visite à une élite avertie et bien informée, à l’écart du tourisme dévalorisé des foules ignorantes. Nous sommes bien obligés d’admettre qu’en Chine on n’a jamais construit pour durer, que bien des pavillons de la Cité interdite ont été reconstruits « à l’identique » après avoir brûlé et que pour le commun des Chinois le reconstruit est préférable à l’ancien, car il est neuf.

 

Il ne faut pas bouder son plaisir, la trilogie Dali-Lijiang-Shangrila constitue un fameux triptyque, kaléidoscope en 500 km de l’histoire de la Chine, de ses cultures diverses et de sa variété ethnique au-delà du leurre d’une Chine unique et unie. Et dans cette confrontation avec ses deux sœurs du nord-Yunnan, Dukezong, la vieille ville de Shangrila ne manque pas d’attraits, depuis les couleurs changeantes du lac Napa au gré des saisons et de la météo, les imposantes façades et les stupas couronnés d’or du temple de Songzanlin, le mini-Potala, adossé aux premières collines du plateau tibétain et dont les reflets dans l’étang qui s’étend à ses pieds font de magnifiques photos, sans oublier les attraits de la vieille ville dominée par son temple du grand Buddha, jusqu’aux vastes plateaux de forêts et d’alpage où l’on accède par des cols à plus de 4000 m et que nous parcourûmes lors d’un trek mémorable. 

 

Au sommet de Shangrila-Dukezong, dont le nom tibétain signifie « la cité construite sur les rochers », le plus haut moulin à prière du monde tibétain, aux pieds du temple du grand Buddha, tourne gaiement, poussé par une litanie de femmes au large sourire éclairé par leurs vêtements colorés. Elles doivent accomplir trois tours dans le sens des aiguilles d’une montre, pour que leur dévotion soit justement comptabilisée, les ors du moulin étant leur seule richesse, hormis celle inépuisable de leur âme simple. Au-dessus des toits de tuiles en bois ponctués, les quelques fleurs de cerisiers commencent à éclore sous les banderoles de drapeaux à prières formant un vaste filet comme pour retenir les paroles des mantras.

  

Nous sommes en terre tibétaine, et, au-delà des affres de la modernisation et de la « folklorisation », la population conserve ses croyances et ses coutumes. Dans ces confins de la terre tibétaine, on ne ressent pas la même pesanteur qu’au cœur de l’ancien royaume, les cœurs sont légers et ouverts. Le tempérament mêlé des peuples du Yunnan a fait son œuvre, dégageant une atmosphère paisible entièrement dédiée à la majesté de ses paysages et à la beauté intérieure de ses habitants.

Le Mystère du meuble tibétain

  

Posted in: Villages de minorités ethniques, Minorités ethniques chinoises

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