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Wengding, village Wa du Yunnan
Un village « primitif »
En venant du nord du Yunnan, de Dali, l’arrivée à Wengding nous fait plonger dans un autre monde. Nous sommes toujours au Yunnan, à quelques encablures plus au sud en longeant plus ou moins la frontière Birmane, à l’ouest de la région des grandes plantations de thé de Pu’Er, par de petites routes tortueuses au milieu d’un paysage de collines, nous parvenons en deux jours de voiture à ce village qui nous immerge dans l’autre facette de cette province aux ressources innombrables, celle que nous aimons. Encore peu connue des circuits touristiques, je crains que à l’heure où je publie ces lignes je ne sois rapidement contredit. Lors de notre visite, une autoroute est en construction et un tunnel permettra prochainement de couper les nombreux lacets tracés sur les montagnes boisées qui enserrent ce joyau. Et le Global Times dans son édition du 31 mai 2016 présente ainsi le charmant village de Wengding :
“Wengding Wa Village, home to China's last primitive tribe, is located in Awa mountains near China-Myanmar border, southwest China’s Yunnan province. Wengding means where the clouds are floating in the language of Wa people since mists often cloak the mountains throughout the year. Warm as it is, it is surrounded by mountains and is a perfect place for sightseeing”.
La dernière tribu primitive de Chine, diable ! L’ennui est que de telles « tribus primitives » on en trouve quelques-unes en voyageant hors des sentiers battus en Chine, avant que le Global Times ou l’agence Tsinghua ne s’en préoccupe ou, dans leur fièvre planificatrice, décident de les ouvrir et y attirer les gogos chinois. D’ailleurs, nous visitâmes un autre village « primitif » non loin, pas Wa mais Dai, en 2013, qui plus est nettement moins touristiqué et ne disposant pas d’un péage d’entrée. Nous le conterons dans une prochaine édition. Wa cru ou Wa cuit, selon qu’ils ont accepté ou non l’assimilation du bulldozer chinois, il n’en reste pas moins que Wengding, dont la population Wa semble avoir opté pour le mi-cuit, mérite le voyage.
Des charmantes coutumes de coupeurs de tête
Les Wa, dont la population se partage avec la Birmanie voisine, sont un groupe ethnique minoritaire en Chine mais parmi les plus anciens autochtones, qui est passé directement de la société primitive à la société moderne et dont les modes de vie et les pratiques religieuses perpétuent les coutumes traditionnelles originelles. Ils avaient autrefois une réputation guerrière redoutable et étaient connus pour être des coupeurs de tête, tradition aujourd’hui remplacée par le sacrifice de buffles, dont les têtes sont devenues le totem des Wa. Sur les arbres à sacrifice trônent les têtes de buffles aux cornes agressives aptes à refouler les dragons ou les hypothétiques ennemis qui ne seraient pas suffisamment refroidis par la réputation des Wa chasseurs de tête. Population indigène bien avant l’arrivée des Hans, originaire de la région entre la rivière Salouen et le Mékong, la situation des Wa entre les deux pays serait aussi la source de toute sorte de trafics dont l’opium ne serait pas le moindre.
Wengding, en langue Wa, signifie simultanément “endroit où tourbillonne la brume, esprit gracieux des nuages sur les lacs et les montagnes ». Le village, où cent familles indigènes demeurent dans leurs cases entièrement en bois sur pilotis et à toit de chaumes, s’étale en amphithéâtre adossé à une colline orientée vers le nord-ouest, encadré de forêts de bambous et d’arbres centenaires. Le village est étroitement étreint par la forêt, dont on ne saurait abattre un seul arbre, espèce sacrée, car ils protègent le village d’un mur luxuriant.
Le plus haut bâtiment du village est la résidence du prince, des chemins étroits et sinueux serpentent entre les habitations aux toits de chaume, sur lesquelles sont suspendus des têtes de buffles, à l’extérieur comme à l’intérieur. Autrefois, les maisons étaient faites entièrement d’espèce de palissades de bambou. Elles sont de deux sortes : certaines, de toits très bas et de forme oblongue, sont réservées aux célibataires, adultes non mariés ou veufs encore jeunes ; d’autres sont les plus communes et comportent deux niveaux, l’étage où habitent les familles et le rez-de-chaussée pour les animaux. En outre, les Wa construisent en dehors du village leurs greniers à grains, dépourvus de serrure, car nul Wa ne saurait s’approprier le bien d’autrui.
Les Wa ont aussi une autre coutume : une fois le foyer allumé dans la maison, alors il doit être entretenu en permanence et ne peut jamais être éteint. Le trépied surplombant le foyer et sur lequel est suspendu la marmite est le symbole des trois générations, le symbole de la prospérité et de l’unité familiale.
Wengding, Ecomusée humain
Le village de Wengding est une bonne représentation du concept de tourisme ethnique selon les Autorités chinoises. Péage à l’entrée et double haie d’hommes et femmes, jeunes et vieux, en costume traditionnel accueillant les touristes sous leurs chants aux vocalises lancinantes. La grande place du village, où ont lieu les représentations folkloriques, spontanées à heures fixes, est doté d’un « musée » des coutumes locales et d’une grande case du chef reconstituée. On peut y voir les ustensiles traditionnels dont le moins intéressant n’est pas l’énorme tambour taillé dans un tronc d’arbre placé à l’horizontal. On tape avec deux sortes de maillets directement sur le tronc pour un effet sonore à réveiller un mort. On dit que les ouvertures sur le tambour ressemblent à l'organe génital des femmes. Ce serait une survivance du totem féministe datant de plus de mille ans, le ventre du tambour symbolisant l'utérus des femmes et les deux marteaux du tambour représentant les organes génitaux de l'homme. Quand ils sonnent le tambour, les Wa rendent hommage à la reproduction humaine. J’ignore si la légende est exacte, mais elle est belle.
Les villageois sont rémunérés par le gouvernement pour pérenniser l’indianisation de leur village. Les habitants sont en fait « priés » de se relocaliser en dehors du village « authentique » pour laisser la place à une marchandisation bien organisée du site qui sera ainsi optimisé pour l’accueil des touristes. Pour cela, les Autorités ont reconstruit à proximité un village en dur, imitant de façon consternante l’architecture de leurs cases traditionnelles, avec tout le « confort moderne », dont rêvent certainement les Wa. Ceux-ci sont alors sommés de prendre possession de ces demeures moyennant finance, car le gouvernement ne peut tout de même pas, dans cette économie socialiste de marché au visage de la Chine, offrir gratuitement de tels avantages à une population outrageusement choyée, et de revenir dans la journée animer la réserve d’indiens authentique. D’après les confidences d’une brave femme tenant une sympathique auberge à la limite du village, aucune des cent familles n’auraient accepté pour l’instant ce curieux deal.
Si le chef du village habite maintenant une maison plus modeste, il accueille volontiers les visiteurs en remplissant bien sa mission rémunérée pour raconter la saga familiale. En revanche, la plupart des autochtones ne recherche pas le contact et regarde les intrus d’un air au mieux indifférent et distant, voire dédaigneux, conforme à leur réputation martiale de guerriers redoutables. Il faut rester le soir dans l’une des cases faisant office d’auberge rudimentaire pour pouvoir tirer les clichés du soleil rasant sur les toits orangés sans que les couleurs criardes des k-ways de touristes attardés ne viennent gâcher la palette. La paix et le calme règnent enfin sur le village, on n’entend plus que le bruissement des feuillages de bambou mêlés aux bruits de la vie quotidienne en fin de journée. Lorsque l’obscurité survient, quelques anciens se rassemblent autour d’un feu de bois allumé par les plus jeunes et commencent leur sarabande autour du feu au son monotone et envoûtant des Lusheng. Les déguisements sont proscrits, bien loin de la place du folklore officiel, au croisement de deux chemins au mitan du village. Ils se retrouvent entre eux, et fusillent d’un œil sombre le touriste égaré qui déclenche intempestivement un flash ravageur.
A visiter d'urgence avant sa transformation définitive en zoo humain.